Treize novembre, à chiffres presque tous inconnus pour son année. Signe du Scorpion piquant et pinçant à la moindre provocation. Déjà orpheline de père bien avant la naissance, en tout cas officiellement. Unique, également, à la mère déjà un peu trop vieille pour supposer un second enfant. Et qui a de toutes façons déjà bien bataillé pour l'avoir elle. Norma, un peu dodue comme le plus beau des bébés, avait vu le jour artificiel sous les yeux bienveillants d'un personnel confiant envers les grandes technologies. Ce bébé allait vivre proprement, correctement et sainement. Ils allaient s'en assurer.
Pas de maladie, de soucis au cœur, à la tête, ou de déformation physique. Norma poussa un cri naturel le jour prévu, à l'heure prévue, pas un peu trop tôt, ni un peu trop tard. Elle passa sur le ventre de sa génitrice, qui reprenait son souffle en remerciant les bons soins du personnel du vaisseau d'avoir bien voulu lui accorder cette naissance.
Elle avait
enfin sa petite fille...
- - - - - E n f a n c e - - - - -
Il est clair que Norma était promise à l'avenir d'une fillette assez perturbée. Pas psychologiquement, mais bien caractériellement. Agitée, pas même naïve, elle vivait aux côtés de sa mère à la fois comme une enfant, mais également comme ces petits chihuahuas surexcités qu'il fallait savoir tenir en laisse. « Norma, vient ici. » « Norma, ne va pas là ! » « Norma, tu vas tomber ! » C'était bien de l'amour maternel digne d'une mère qu'elle recevait, elle ne savait juste pas y obéir convenablement. La chambre offerte par le vaisseau devenait déjà bien trop petite pour eux trois : sa mère, elle, et son envie irrépressible de parcourir son lieu de vie. À maintes prises, cette dame dût arrêter Norma d'aller ouvrir la porte en se mettant sur la pointe des pieds. Très aventurière, la petite. Très curieuse, voire un peu trop. C'était mieux pour elle de rester là.
Elle peina à apprendre à marcher et parler, trop pressée de connaître ce qui se trouvait de l'autre côté d'Asgardia d'abord. Ce fut un peu une course pour la mère, qui passa régulièrement son temps à rattraper sa fille qui courait partout. Perturbée mais pas perturbante. Au moins, elle était normale.
À quatre ans, elle regardait souvent par la fenêtre, observant la grosse balle presque entièrement bleue dont le nom était aussi absurde que là où on plantait les fleurs. Un peu comme dans ce pot, là, qui faisait le coin de la pièce. Impatiente de faire courir ses petits pieds partout, elle jouait toute seule avec juste la compagnie de sa mère, qui la surveillait sans l'interrompre dans son imagination. Mimant un sabre-laser avec ses mains et au bruit, elle s'extasiait toute seule dans une histoire inventée de toutes pièces, née de l'utopie des humains qui étaient à bord.
- Zzzziii ! Pew pew ! Regarde maman, j'atterris sur la Terre !
- Oui, oui... Doucement, Norma. Le lit ne va plus supporter. Ne saute pas, s'il te plaît...
- M'man, m'man ! Regarde !
- Je vois bien, ma puce, je vois bien.
Inébranlable.
Elle ne fut que très peu ennuyée par la soudaine absence de sa mère, lorsque celle-ci dût retourner au travail. À l'école, Norma n'était pas spécialement passionnée, mais juste curieuse. Mauvaises comme bonnes notes se succédèrent, et elle ne démontra aucun signe d'une quelconque intelligence avancée. L'élève classique un peu difficile à ramener à la réalité et à la concentration une fois évaporée vers ses pensées enfantines. Mais l'essentiel était là : elle ne posait aucun problème à ses professeurs.
- - - - - A d o l e s c e n c e - - - - -
Lors de la crise d'adolescence, en revanche, les choses devinrent plus compliquées. Norma était une jeune fille drôlement réactive, bouillonnante pour un rien et un peu trop sur la défensive. Ce furent sans aucun doute ses années de passage à la puberté les plus ingrates envers quiconque. Le classique disque du « Tu contrôles pas ma vie » ou encore « Mais c'est bon tu m'saoules woh lâche-moi fait chier » était servi et resservi à toutes les sauces à la pauvre mère célibataire qui traitait toujours sa fille unique comme une enfant. Pas par agacement, mais bien par surprotection. Et bien évidemment, ça n'arrangeait jamais rien. Leur relation n'en pâtissait cependant pas, car malgré ses soupirs à longueur de journée et sa fatigue de dame, elle ne perdait que rarement patience et attendait seulement que les petites colères ne passent.
Un peu avant ses dix-huit ans, Norma se mit un peu plus (pour ne pas dire négligemment trop) à l'aise lors des cours de vie pratique. Elle jouait plus qu'elle n'apprenait, généralement pour s'épater elle, ainsi que la galerie. Mais discuter comme des gamines pourries gâtées (ce qu'elle n'était pourtant pas) durant le cours de cuisine en jouant avec les couteaux, c'était plus marrant que de devoir couper des patates. Elle répondait aux professeurs, mais finissait toujours par remplir le travail. Et malgré ce comportement volontaire, revenait régulièrement à la maison avec un peu de honte agrafé sur le visage, dévisagée par sa mère qui savait de toutes façons depuis longtemps de quoi il retournait. Mais aucune représailles, jamais.
Peu à peu, Norma passa de l'adorable petite fille surexcitée à la sale gosse qui refuse de gagner en maturité. Ce n'est pourtant pas pour autant qu'elle ne réfléchit jamais ou qu'elle ne sait pas se débrouiller toute seule. Au contraire, Norma était très débrouillarde. Il fallait juste lui faire confiance.
Le résultat du Test Cognitif de Personnalité ne s'avéra donc qu'avec peu de surprise. « Ferociae », et le tatouage aux motifs uniques qui traduit comme un côté sauvage avec. Au début, Norma prenait ça pour être officiellement – et enfin – considérée comme sauvage, un peu brute et incontrôlable. Grand bien lui fasse d'apprendre que presque toute la sécurité était constituée de gens de cette même caste. Et il fallait le dire : ça lui correspondait à elle aussi.
- - - - - T i me t o g r o w u p - - - - -
Dix-huit ans atteints, Norma devait inévitablement tourner la page de sa vie dépendante. Ça ne lui faisait pas grand-chose, d'obtenir enfin sa carte d'identité au même titre que tout les autres Asgardiens. Même prononcer le serment la gonflait.
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Audaces fortuna juvat, gloire au Conseil et prospérité d'mes couilles à bla bla truc muche.
- Vous êtes priée de prononcer le serment correctement.
- Ouais ouais.
Jamais Norma n'avait eu envie de se tenir convenablement. Dommage que sa caste n'était pas une excuse pour ces petits dérapages. Elle allait pourtant énormément en abuser. Sans pour autant aller dans l'illégalité. Quelle dommage qu'elle ne puisse pas en profiter pour se permettre quelques folies !
Bien que dans la caste de la « sécurité », Norma ne se voyait pas avec une autorisation à posséder un gros chien. Car elle aimait les chiens, et rêvait surtout d'en posséder un, un bon gros toutou, qui saute à renverser sa maîtresse et qui ramène de la boue en rentrant dans l'appartement – sauf qu'ici, il y avait beaucoup moins de risques pour la boue – mais jamais, ô grand jamais elle n'y eut droit. C'était pourtant pas faute d'essayer de s'introduire dans le coin associée aux bestioles afin d'en dérober une, mais bon : dissimuler un chien, c'était pas comme élever un poisson rouge...
Officiellement adulte, Norma était en proie à des responsabilités, comme à des disponibilités. Son nouvel appartement personnel fut l'une de ces étapes, et elle s'en accommodait très bien. Couvert de posters et décorés avec mille babioles, son chez-elle bien
cosy s'apparentait à la chambre – jusqu'à la cuisine et salle de bains – d'une éternelle grande adolescente, la musique trop forte en moins. On l'engagea également comme vigile (le mot était fort, tout de même) dans un magasin de vêtements. Et autant dire qu'elle n'était jamais tendre avec ceux qui méritaient qu'on les éjecte sans délicatesse de la boutique – c'était presque un plaisir de vous en jarter.
C'était également l'occasion à, pourquoi pas, procréer.
Un ami proche de la jeune fille, un garçon qui n'avait qu'un an de plus qu'elle, lui suggéra cette idée. « Attend, mais... pour quoi faire ? » Et l'andouille de sentimental avoua que les naissances, ici, c'était assez festif, comme chose. Norma ou lui auraient pu ne pas naître, et quitte à prévoir d'être maman ou papa, mieux valait prévenir le coup. L'ami en question se prit un sévère
full stop alors qu'elle lui dégageait aussitôt cette idée de la tête – et un bon râteau, par la même occasion.
- Non mais t'es malade, j'ferai jamais ça.
C'était sans appel. Il avait peut-être l'envie précoce à devenir père, mais ça ne sera pas avec elle.
- J'aurai pas de gosses.
Car Norma en était déjà une. Et c'était bien suffisant comme ça.